D’où vient le tissu wax porté par les Africains?

Vous avez certainement déjà vu des tenues africaines en tissu wax, ce textile en coton imprimé caractérisé par ses motifs colorés et vibrants. Si ces tissus sont aujourd’hui emblématiques de la mode africaine et célébrés comme symboles d’identité et d’authenticité, leur histoire révèle une trajectoire bien plus complexe que vous ne le pensez. Découvrez toute l’histoire dans cet article!

5/10/20255 min read

Les véritables origines du wax : une histoire indonésienne et européenne

Cela vous surprendra peut-être, mais en réalité, le tissu wax n’est pas né sur le continent africain.

Son ancêtre direct est le batik, une technique ancestrale de teinture à la cire pratiquée depuis des siècles en Indonésie, plus particulièrement sur l’île de Java.

Dans cette technique traditionnelle, des artisans appliquent minutieusement de la cire chaude sur le tissu pour créer des motifs résistant à la teinture.

Au XIXe siècle, cette technique attire l’attention des colonisateurs néerlandais en Indonésie.

Séduits par l’esthétique du batik, des industriels européens, principalement néerlandais et britanniques, cherchent à reproduire mécaniquement ce procédé pour le commercialiser à grande échelle.

Voilà comment naît le « wax print » (motif wax) ou « Dutch wax » (wax hollandais), qui en faire représente une tentative européenne d’industrialiser une technique artisanale asiatique.

L’échec commercial en Asie qui devient succès en Afrique

Ironie de l’histoire, ces tissus industriels, d’abord destinés au marché indonésien, s’y révèlent être un cuisant échec commercial.

Les Indonésiens, experts en batik authentique, repèrent facilement les imperfections de ces imitations mécanisées : craquelures irrégulières, répartition inégale des couleurs, motifs moins précis... Des caractéristiques considérées comme des défauts en Indonésie.

Face à cet échec, les commerçants européens cherchent de nouveaux marchés pour leurs stocks invendus.

Ils se tournent alors vers les colonies africaines, où ces tissus rencontrent un succès inattendu.

Les populations d’Afrique, de l’Ouest notamment, s’approprient ces textiles, leur donnant une seconde vie et une nouvelle identité.

Une réappropriation africaine étonnante

C’est dans ce contexte que le wax devient progressivement un élément central des expressions vestimentaires en Afrique de l’Ouest.

Les femmes africaines, en particulier, jouent un rôle déterminant dans cette adoption.

Ce sont elles qui transforment ce produit importé en un vecteur d’expression culturelle authentique, en donnant des noms et des significations propres à chaque modèle.

Les grandes commerçantes connues sous le nom de « Nana Benz » au Togo et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest deviennent les intermédiaires incontournables de ce commerce florissant.

Elles assurent la distribution des tissus importés d’Europe et influencent directement l’évolution des motifs en fonction des goûts locaux.

Une production qui reste principalement externe à l’Afrique

Il est important de noter que, même aujourd’hui, la majorité du wax « authentique » est produite hors d’Afrique.

L’entreprise néerlandaise Vlisco, fondée en 1846, reste un acteur majeur de cette industrie, bien que des concurrents chinois aient récemment pénétré ce marché avec des produits moins coûteux.

Quelques initiatives de production locale existent en Afrique, mais elles peinent souvent à rivaliser avec les imports en termes de prix et parfois de qualité perçue.

Cette situation économique paradoxale, où un symbole d’identité africaine demeure largement produit à l’extérieur du continent, soulève des questions légitimes sur l’autonomie culturelle et économique.

Le wax saboteur des tissus traditionnels africains?

La question se pose effectivement, car le wax est devenu emblématique de l’identité africaine dans l’imaginaire mondial, au détriment des textiles authentiquement africains.

D’ailleurs, des voix s’élèvent aujourd’hui pour contester cette omniprésence du wax, perçue comme préjudiciable aux tissus véritablement africains.

L’une de ces voix est le styliste d’origine camerounaise Imane Ayissi.

Fervent critique de cette situation, il affirme que le grand monopole du wax « tue le patrimoine africain ».

Cette déclaration forte souligne le paradoxe d’un continent dont l’identité textile est largement représentée par un produit d’importation, tandis que ses riches traditions locales de tissage et de teinture sont mises aux oubliettes.

De plus, comme le souligne la journaliste Marie-Jeanne Serbin-Thomas, « Aujourd’hui, la vraie revendication identitaire ce sont les créateurs qui travaillent pour mettre en avant une pratique véritablement culturelle, artistique et non pas un produit d’importation, même s’il est complètement digéré par la population africaine. »

Ce qu’elle dit met en lumière un mouvement de réappropriation culturelle authentique, qui s’éloigne du wax pour redécouvrir et valoriser « des tissus traditionnels qui ont une signification, dont on peut lire l’origine, qui sont implantés véritablement dans la culture du pays et non pas imposés ».

Dans cette démarche, Imane Ayissi et d’autres créateurs contemporains privilégient des matériaux ancestraux souvent méconnus du grand public : raphia teint au Cameroun, faso dan fani (le tissu à rayures du Burkina Faso), kenté (tissu de soie et de coton fabriqué au Ghana et en Côte d’Ivoire) ou le bogolan du Mali.

Ces textiles, contrairement au wax, sont le fruit de savoir-faire locaux transmis de génération en génération, porteurs d’une symbolique profondément ancrée dans les cultures africaines.

Cette tendance reflète une volonté de décolonisation esthétique et économique, où la valorisation des techniques ancestrales permet non seulement de préserver un patrimoine culturel menacé, mais aussi de développer des filières de production locales, créatrices d’emplois et d’innovation sur le continent même.

Conclusion

L’histoire du wax nous enseigne que la culture matérielle traverse les frontières de façon complexe.

Sa trajectoire nous invite à une réflexion nuancée sur la façon dont les objets culturels circulent, se transforment et acquièrent de nouvelles significations au fil du temps et de l’espace.

Toutefois, reconnaître la valeur culturelle acquise par le wax ne doit pas nous faire oublier l’importance de préserver et célébrer la diversité des traditions textiles authentiquement africaines, témoins irremplaçables de savoir-faire millénaires et fondements d’un renouveau créatif ancré dans une identité culturelle plus profonde.